A travers l’évènement de la Shoah, l’humanité est interpellée d’une manière unique. Comment des hommes ont-ils pu nier l’humanité de l’homme en la personne des Juifs et des Tziganes ? L’horreur de la Shoah n’est hélas pas unique eu XXème siècle même si elle a atteint des degrés d’horreur inouïs. Mais àtravers la volonté nazie « d’éradiquer », selon leur langage, le peuple juif de l’histoire, nous sommes en présence d’un « paradigme » qui nous appelle aujourd’hui encore àméditer sur le caractère unique de la Shoah et sur la profondeur de tous les génocides.
Nous avons choisi de le faire par le train non pas comme une imitation de ce qui a été vécu par les déportés, ce qui serait intolérable, mais parce qu’il nous a semblé, qu’au-delàde la préparation engagée par les établissements d’un point de vue historique plusieurs mois àl’avance et àl’écoute des survivants, il est nécessaire pour eux qu’il y ait un acheminement progressif. Temps nécessaire pour passer de la vie ordinaire àcette rencontre unique entre toutes. De même au retour il est non moins indispensable que les jeunes, « écrasés » en quelque sorte par l’expérience, puissent parler librement entre eux, et partager leur questionnement avec les adultes qui les ont accompagnés.
Que dire de plus ? Les témoignages recueillis depuis plus de dix ans parlent d’eux-mêmes sur la profondeur du bouleversement vécu. Une jeune femme venue en 1995 écrit en 2004 : « Il y a neuf ans déjà. Vous avez dit neuf ans ? J’ai de la peine àle croire. C’est étrange, je me souviens du voyage comme si c’était hier, et àla fois ce souvenir est comme hors du temps, au-delàdu temps… Aller àAuschwitz, c’est aller àla rencontre de l’humain, dans sa fragilité, dans sa totalité, dans tout ce dont il est capable… Je ne suis ni Juive, ni Allemande. Je ne m’identifie ni àla victime, ni au bourreau… Je m’identifie àl’homme que j’ai rencontré en ces lieux et je prends pleine conscience de ma dimension humaine, capable de bien et de mal… Je me sens encore aujourd’hui chargée d’un devoir de partage, de mémoire…envers le peuple juif, envers tout peuple qui souffre, envers tout être humain, car c’est en se souvenant de l’horreur de l’homme que l’on peut voir sa beauté et travailler àla faire grandir ».
C’est àun voyage intérieur que nous convions les jeunes en les conduisant àdécouvrir ce qui s’est passé en ces lieux. Nous les conduisons sur un lieu de mort, non pas seulement su un lieu où des morts sont morts, mais sur un lieu où l’on a voulu détruire l’humanité de l’homme avant de le faire mourir. Le peuple juif en fut la victime principale. Considéré comme l’anti-homme, il fallait qu’il disparaisse de notre histoire, de notre culture, parce qu’au-delàde l’antisémitisme extrême dont il témoigne, il portait la tradition des sources morales et religieuses de notre vision de l’homme. Au-delàde la stupéfaction, de l’émotion, c’est un questionnement qui saisit les jeunes. Qu’est-ce que l’homme ? Quelle est cette liberté, et quelle est cette responsabilité dont nous jouissons ? Qu’en faisons-nous ? Comment des hommes ont-ils pu commettre un tel crime ?
Ce voyage extérieur et intérieur, le témoignage des jeunes en atteste la profondeur, il les marque àtout jamais. Je dois ajouter que je suis toujours stupéfait de la capacité de réflexion dont ils se révèlent capables.
Père Jean Dujardin
(Texte initialement publié sur le site « Auschwitz autrement« )
TRAIN 2008 PHOTOS WICTOR BOBEREK