« Une authentique libération »
Méditation du P. Luc Forestier
Méditation du P. Luc Forestier
Évangile du mardi 30 août 2022
En ce temps-là, Jésus descendit àCapharnaüm, ville de Galilée, et il y enseignait, le jour du sabbat. On était frappé par son enseignement car sa parole était pleine d’autorité. Or, il y avait dans la synagogue un homme possédé par l’esprit d’un démon impur, qui se mit àcrier d’une voix forte : « Ah ! que nous veux-tu, Jésus de Nazareth ? Es-tu venu pour nous perdre ? Je sais qui tu es : tu es le Saint de Dieu. »
Jésus le menaça : « Silence ! Sors de cet homme. » Alors le démon projeta l’homme en plein milieu et sortit de lui sans lui faire aucun mal.
Tous furent saisis d’effroi et ils se disaient entre eux : « Quelle est cette parole ? Il commande avec autorité et puissance aux esprits impurs, et ils sortent ! »
Et la réputation de Jésus se propageait dans toute la région.
Lc 4, 31-37
Les exorcismes que rapportent les évangiles suscitent deux types de réactions opposées. Chez certains lecteurs, la mention de ces démons et de leur puissance apparente suscite de la gêne. Chez d’autres, le pouvoir d’exorcisme qu’exerce Jésus fascine. Certains sont tentés d’ignorer les pages évangéliques mentionnant une libération des démons, au risque de contourner aussi les autres récits de guérisons et de miracles, et de réduire le matériau évangélique aux seuls discours, transformant ainsi Jésus en maître de sagesse. D’autres, au contraire, risquent de voir le démon partout et – pire encore – de prétendre domestiquer àleur profit la puissance divine que met en œuvre Jésus dans cet évangile. Bien des interprétations évangéliques réduisent la foi chrétienne àune morale. Bien des charlatans se présentent aujourd’hui pour délivrer les personnes en souffrance – et ce fléau ne frappe pas uniquement les Églises évangéliques.
Ces deux impasses – ignorance des exorcismes ou tentation d’instrumentaliser àson profit le pouvoir dont dispose Jésus – ont en commun un même schéma anthropologique, c’est-à-dire la confusion entre magie et résurrection. Pour les sceptiques en effet, toute manifestation de puissance de Jésus dans les évangiles relève d’une pensée mythique dont nous serions aujourd’hui délivrés ; pour les « guérisseurs», la nouveauté évangélique est une puissance qu’ils peuvent instrumentaliser.
En réalité, honorer ces récits àl’intérieur d’une liturgie eucharistique permet d’échapper àla confusion entre la manipulation du réel et la nouveauté chrétienne car l’initiative de Dieu vient toujours susciter la liberté humaine. Le geste de libération que rapporte saint Luc n’est pas séparable du geste de communion au cours duquel nous recevons sacramentellement celui qui nous libère de toutes les puissances asservissantes. Si les évangiles sont bien des textes évangélisateurs – et non de simples chroniques destinées àdonner des informations sur un personnage éminent de l’histoire de l’humanité – chaque épisode, et même chaque élément de ces épisodes, est destiné àannoncer la résurrection du Christ. Il ne s’agit jamais seulement d’une information qu’il suffirait de transmettre mais d’une initiation qui passe par les corps, de sorte qu’il n’est pas possible de séparer les évangiles des communautés qui les ont portés, rédigés, commentés, corrigés, et transmis jusqu’àaujourd’hui.
Et la résurrection du Christ dont parle chaque page des évangiles n’a rien du geste magique car elle est une opération de recréation àl’intérieur de la création divine. Quand Dieu ressuscite Jésus d’entre les morts, ce n’est pas un tour de passe-passe qui prouverait que la mort est une cruelle illusion. Mais c’est une parole de vie qui est prononcée au cœur de l’expérience de la mort, et qui nous est accessible par l’unique opération de l’eucharistie qui est àla fois biblique et liturgique. En communiant au Verbe fait chair, c’est cette parole de libération que nous recevons au cœur de notre humanité, àl’image de cet homme délivré d’un démon l’empêchant de parler.
Deux détails de cette page de saint Luc sont ici déterminants. Premièrement, le geste de Jésus provoque l’étonnement des observateurs qui s’interrogent sur l’autorité de sa parole tandis qu’enflent un autre type de parole àson propos – Joseph Moingt, théologien jésuite décédé récemment, parlait d’une « rumeur » qui se répand et qui traverse les siècles jusqu’ànous ! Deuxièmement, la libération de cet homme se fait sans qu’il ait mal, montrant ainsi que son humanité est pleinement restaurée. Telle est la puissance de la Parole faite chair en Jésus-Christ ; elle nous rend sujets de notre propre humanité, et nous rend capables d’annoncer les merveilles de celui qui, aujourd’hui, fait toutes choses nouvelles.
ÂÂ
Luc Forestier, prêtre de l’Oratoire àParis
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Illustration : La Guérison du possédé, peinture des frères Limbourg extraite des Très Riches Heures du duc de Berry, folio 166 recto, 1411-1416, Musée Condé du château de Chantilly