Retour à l’ordinaire
L’éditorial de la semaine
Après quatre-vingt-dix jours de temps exceptionnel  nous voici revenus àl’ordinaire des jours. La fête de Pentecôte a clos le temps pascal. Non pas, cependant, comme on fermerait une parenthèse heureuse en la reléguant du même coup dans le champ des souvenirs et, peut-être, de la nostalgie ! Certes, un temps s’est achevé, mais on n’en sort pas indemne, comme s’il ne s’était rien passé. Tout au contraire : on en sort changé et on revient vers l’ordinaire des jours pour vivre ce que j’appellerai volontiers un quotidien requalifié, c’est àdire soustrait àsa banalité. C’est assez précisément ce que l’on a lu tous ces derniers temps, dans le livre des Actes.
En effet, àquoi sont confrontés les plus proches de Jésus sitôt qu’il les a quittés ? Que doit faire Pierre, dès après l’ascension ? Il doit, avec tous les autres, pourvoir au remplacement du traître, Judas. Et ce ne sont certes pas des souvenirs agréables qu’il faut alors remuer. De plus, celui-làmême qui préside l’événement a fait l’expérience cuisante de sa propre infidélité. Bref, le tableau de cet embryon d’ « Église primitive » est éloquent et touchant de faiblesse. Mais c’est bien cette réalité humaine là, et pas une autre, qui va être livrée au feu de l’Esprit. Ce sont ces hommes-là, tels qu’ils sont et non pas rêvés, ceux-làet pas d’autres, qui vont commencer d’inventer le perpétuel présent de la communauté croyante, vivant sous le signe du Christ et àl’écoute de sa parole.
Le temps qu’ils ont passé avec le Seigneur (« depuis le baptême au Jourdain et jusqu’àl’Ascension » Ac 2, 21) ne fut pas une parenthèse. Ce fut un temps plein, un moment de leur histoire, personnelle et commune, qui devait la changer pour jamais.
Toutes choses égales par ailleurs, la longue période carême-temps pascal dont nous sortons àpeine, a vocation àaider les croyants àse retremper dans semblable expérience pour en vivre au quotidien, car c’est le quotidien qui compte ! Et c’est àlui que les apôtres àl’Ascension sont renvoyés : « Ne restez pas lààregarder le ciel »… (Ac 1, 11). Ils sont renvoyés vers la vie vécue plutôt que (seulement) rêvée…
Connaissez-vous José T. Mendonça ? Il a écrit un commentaire original du Notre Père. On lit dans l’avant-propos : « Dans un de ses poèmes, Jacques Prévert écrit : ‘Notre Père qui êtes aux cieux restez-y et nous, nous resterons sur la terre’. Où est Dieu ? Où sommes-nous ? (…) La terre, cette terre quotidiennement troublée par des crises et des désirs, est-elle ce qui nous sépare ou ce qui nous rapproche de Dieu ? ». Elle est en tout cas cet espace que Jésus le Nazaréen a habité avec nous et qu’il nous désigne comme le lieu de notre quête de bonheur… avec Lui, avec les autres,… dans l’ordinaire des jours.
Gilles-Hervé Masson, dominicain, vicaire àSaint-EustacheÂÂ